
L’Océanie, vaste région du Pacifique qui s’étend de la Nouvelle-Guinée à l’île de Pâques, présente un remarquable continuum culturel qui résulte de deux grandes étapes de peuplement venues d’Asie : la première occupation de la région du Sahul (Australie, Nouvelle-Guinée) qui remonte à plusieurs dizaines de milliers d’années, puis l’exceptionnelle expansion maritime austronésienne débutée il y a 5 500 ans depuis Taiwan. Les multiples contacts au fil des millénaires entre ces populations ont façonné les sociétés insulaires du Pacifque, lesquelles ont développé des modes de vie adaptés aux différents environnements qu’elles ont peuplés, des îles continents aux atolls.
Rescapées des chutes démographiques vertigineuses provoquées par les maladies introduites lors des premiers contacts occidentaux, déplacées comme main d’œuvre, convertis à un monothéisme qui disqualifiait leurs cultes et leurs cosmologies, soumis par les armes à un nouvel ordre politique, fragmentées par les frontières impériales, spoliées de leurs terres pour l’agriculture, l’exploitation minière ou le développement urbain, militarisées et nucléarisées au profit des grandes puissances, les populations autochtones ont dû s’adapter, depuis près de trois siècles, à une série de profondes transformations. Les sociétés contemporaines en Océanie sont aussi le fruit de migrations venues d’Europe ou d’Asie aux 19e et au 20e siècles, qui ont fait souche dans le Pacifique, et de mouvements de populations océaniennes entre archipels, aux apports socio-économiques et culturelles multiples et féconds.
Face à ces bouleversements, les populations autochtones n’ont cessé de résister pour leur représentation au sein des sociétés nationales, et afin de préserver leur patrimoine culturel. Elles sont désormais tantôt majoritaires dans les États et collectivités auxquels elles appartiennent, tantôt minorisées ou en équilibre démographique précaire, largement métissées et porteuses d’identités complexes. Dans ces circonstances, elles jouissent d’une souveraineté politique inégale, selon les territoires, qui oscille entre indépendance et assimilation. À raison de quoi elles sont exposées de façon variable aux dynamiques géopolitiques régionales dominées par les grandes puissances – Chine et États-Unis au premier chef, mais aussi France, Australie ou Nouvelle-Zélande.
Cet axe vise à articuler les questions géostratégiques globales à l’échelle du Pacifique, à la compréhension des sociétés océaniennes contemporaines en portant une attention particulière aux expressions politiques et culturelles et artistiques, en contexte postcolonial, aux échelles locale, nationale et régionale, et en examinant comment les expériences de vie des différentes communautés ont façonné leurs interactions, leur perception mutuelle, et la notion de légitimité politique au sein de ces sociétés. Cette recherche s’accompagne d’un travail de connaissance sur le temps long des crises qu’ont traversées les populations du Pacifique et des formes de résilience spécifiques qu’elles ont mises en œuvre. Il s’agit aussi d’étudier la mémoire de ces crises, transmise dans les communautés locales, et les expressions littéraires et artistiques qui en sont nées. De ce point de vue, on sera particulièrement attentif à la dimension politique des expressions culturelles en Océanie (littérature, arts visuels, arts plastiques, arts de la scène) et à la façon dont les arts symbolisent les enjeux du vivre ensemble au niveau de communautés parfois en conflit.
Cette compréhension est indispensable à la réflexion sur la construction d’une citoyenneté partagée et d’un contrat social équitable. Elle éclairera aussi les dynamiques contemporaines de résistance ou de rapprochement vis-à-vis des puissances tierces.

L’Océanie, avec ses 1300 langues, représente 20 % de la diversité linguistique mondiale. Moins du quart de ces langues – dont beaucoup risquent de disparaître – a fait l’objet d’une description approfondie. À l’heure de la mondialisation culturelle, la menace pèse aussi sur le précieux héritage des connaissances autochtones transmises par la littérature orale. Les textes recueillis restent épars et un travail comparatif approfondi reste à entreprendre, notamment entre l’Océanie proche et l’Océanie lointaine, afin d’identifier les récits les plus anciens et leurs motifs communs.
Cet axe vise à poursuivre la documentation des langues et des arts de la parole dans le Pacifique, afin de comprendre comment la mosaïque linguistique océanienne s’est développée historiquement au fil des migrations et des rencontres entre populations, donnant naissance au paysage multilingue que l’on observe aujourd’hui. Cette connaissance contribue à la transmission du patrimoine immatériel de l’humanité mais aussi à l’étude du langage humain, qui réclame d’analyser les langues dans leur diversité.
Dans les aires culturelles de tradition orale comme l’Océanie, l’approche comparée et interdisciplinaire est une condition de la connaissance du passé des sociétés. La méthode comparative de la linguistique historique, par exemple, appliquée à des centaines de langues contemporaines, permet la reconstruction du proto-océanien et des embranchements plus récents. Les données issues de différentes disciplines à l’échelle aréale, en particulier en linguistique, en archéologie, en anthropologie et en génétique, peuvent être triangulées pour une compréhension plus fine des sociétés anciennes et de leurs transformations.
Cette démarche comparative doit être prolongée en agrégeant, dans des bases de données interopérables à l’échelle internationale, l’information accumulée lors des recherches précédentes et en les complétant par de nouvelles enquêtes, parfois sur des terrains dont l’accès est fortement contraint. La tâche descriptive paraît titanesque au regard du grand nombre de langues à décrire et du peu d’experts mobilisables pour réaliser les enquêtes in situ et analyser les corpus collectés. C’est pourquoi la MSHP ambitionne de développer des protocoles innovants pour faciliter les enquêtes extensives, et accélérer le traitement des données afin de produire des analyses semi-automatisées.

Depuis plus de deux siècles, les sociétés du Pacifique ont vécu des changements majeurs et contrastés, liés à leurs histoires coloniales et à leur intégration dans des circuits économiques et culturels et des ensembles géopolitiques mondialisés.
Cet axe étudie ces transformations en mettant l’accent sur les ruptures, les crises et les bifurcations qui façonnent les sociétés contemporaines de la région. Il se concentre sur les dimensions spatiales, et temporelles de ces transformations, en observant notamment l’émergence de nouveaux ensembles politiques, de nouvelles expressions culturelles, la recomposition des centres et des marges régionales, ainsi que les rythmes variés de ces évolutions.
Pour comprendre ces dynamiques, le projet examine des institutions centrales des sociétés coutumières, tels que la parenté, les systèmes normatifs et d’échange, la tenure foncière, les pratiques genrées, les représentations des sexualités et des « genres », ou les organisations économiques. Deux aspects principaux sont particulièrement étudiés :
- Les effets transformateurs de l’érosion des fondements matériels (ressources économiques) et idéologiques (valeurs collectives) de ces institutions, dans les sociétés contemporaines.
- La dissociation croissante de ces différentes institutions, auparavant étroitement intégrées, qui évoluent désormais de façon asynchrone et partiellement autonome.
Par exemple, l’apparition du salariat modifie profondément les liens de solidarité dans le cadre de la parenté. Ou encore, l’essor du modèle de la famille conjugale transforme les relations de parenté et les liens à la terre, traditionnellement possédée collectivement. Ou enfin, la marchandisation des terres altère profondément leur intégration dans les circuits d’échange, au sein des familles.
À travers des études ciblées, cet axe vise ainsi à saisir comment les sociétés océaniennes articulent leurs ancrages historique et géographique et leur intégration au sein de réseaux culturels, économiques, politiques et sociaux globalisés, et inventent, ce faisant, des modernités multiples et résolument océaniennes.
Ce faisant, on met moins l’accent sur des thèmes spécifiques que sur des objets permettant d’observer ces processus d’hybridation sociale et ces modernités composites et singulières : mondes urbains ; classes populaires et nouveau précariat ; pratiques de subsistance ; solidarités, tensions et violences familiales ; transformations des cultures et des pratiques artistiques, et mise en récit des collectifs ; transactions foncières, mobilités géographiques et recompositions des rapports familiaux ; espaces de confrontation entre normes publiques et valeurs privées, etc.
On entend ainsi appréhender des expériences émergentes, à l’instar de la propriété privée et de ses effets sur les relations de parenté et, plus largement, sur les rapports sociaux. On entend aussi saisir des pratiques inédites, comme le travail salarié, qui altère les pratiques de subsistance et les solidarités. On entend enfin analyser de nouveaux imaginaires sociaux, où les aspirations individuelles jouent un rôle prépondérant, transformant l’inscription sociale des individus et les relations collectives, sans perdre de vue les pratiques culturelles et artistiques qui articulent le souci politique des valeurs héritées, dans le cadre des renouveaux culturels océaniens, et les conceptions contemporaines de l’intérêt collectif.

Cet axe interroge les relations entre santé humaine, santé des milieux et sociétés insulaires, dans un contexte d’érosion et de transformation des écosystèmes et de transformation des environnements sociaux. Il s’intéresse aux « milieux » insulaires, envisagés comme des espaces d’interaction à la fois sociales et écologiques – socio-écologiques –, impliquant humains et non-humains (plantes, animaux, éléments naturels, objets techniques, etc.), et dont les entités et leurs interactions mettent en jeu des savoirs théoriques et pratiques complexes, composites et souvent conflictuels. On s’intéressera aux répercussions politiques, sociales, culturelles et artistiques des transformations des milieux socio-écologiques qu’elles soient dues aux essais nucléaires, à l’urbanisation, à l’extractivisme ou au changement climatique.
Dans cette perspective, l’axe mobilise les outils des sciences humaines et sociales pour investiguer les processus de production, de transformation et d’adaptation de ces milieux. En les caractérisant, il s’agit notamment d’identifier les facteurs de risque, de résilience ou d’adaptation qui les caractérisent, dans des espaces géographiques particulièrement exposés au changement climatique et aux aléas environnementaux.
L’axe concerne aussi les dispositifs de production de connaissance sur les milieux et à la place relative des humains et des non-humains, en leur sein. Les recherches portent ainsi à la fois sur les processus de construction de ces savoirs – recherches, expériences, débats, controverses, production d’indices et de preuves, diffusion, transmission, hiérarchisation des connaissances, etc. –, sur leur diffusion au sein des sociétés insulaires de la région, et sur leurs transformations.
Enfin, nous nous intéressons particulièrement aux dispositifs de régulation de la santé des populations et des milieux, ainsi que des rapports entre santé humaine et écosystèmes : systèmes de santé publique, épidémiologie, approche One Health, pratiques médicales et médicinales, surveillance et préservation des socio-écosystèmes, politiques agricoles ou encore codes miniers ou dispositifs juridiques analogues. Dans ce cadre, on analyse également les tensions entre les impératifs sanitaires et écologiques et d’autres enjeux, notamment géopolitiques ou économiques. Ainsi, les analyses portent également, en définitive, sur l’écopolitique des milieux, c’est-à-dire sur les dynamiques politiques qui façonnent les interactions entre sociétés et environnement.