







Saisir le changement social en Polynésie française
Institutions, populations, territoires
Institution porteuse : Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique
Coordination : Loïs Bastide, MCF UPF (EASTCO EA4241), chercheur associé à la MSH-P
Equipe de recherche :
Loïs Bastide
Lucile Hervouet, post-doctorante MSH-P
Lauriane Dos Santos, post-doctorante MSH-P
Louise Protar, post-doctorante MSH-P
Denis Regnier, Prof. Ass UGHE
Yasmina Taerea, doctorante UPF
Anciens membres
Yuna Méloche, doctorante UPF (2018-2019)
Laura Giraud, post-doctorante (2022-2023)
Présentation
Depuis l’implantation du Centre d’Expérimentation du Pacifique en Polynésie française dans les années 1960, la société de cette communauté d’outre-mer a subi un processus de transformation profond et rapide. Or, en dépit des éclairages démographiques de l’Institut de la Statistique de Polynésie Française (ISPF), des pans importants de la société polynésienne contemporaine demeurent très mal connus des chercheur.e.s comme des pouvoirs publics. C’est vrai, par exemple, des classes populaires et du nouveau prolétariat urbain, très méconnus. Ce dernier, d’émergence récente (il se constitue à partir des années 1980), a pourtant un poids démographique très significatif dans la société polynésienne : en 2009, le taux de pauvreté monétaire relative était ainsi de 27,6 % à Tahiti et Moorea – les deux îles les plus densément peuplées du territoire – et 69,4 % des populations concernées étaient concentrées en contexte urbain (données ISPF). Historiquement, ces populations sont le produit d’un double phénomène :
– un mouvement de flux, d’abord, avec les migrations de travail, la concentration démographique des populations sur Tahiti et une urbanisation rapide, stimulées par la multiplication des emplois liée à la montée de l’ « économie du nucléaire » lors du déplacement des essais français vers la Polynésie en 1963 (Fages, 1974 ; Lextreyt, 2019 ; Merceron, 2005 ; Merceron et Morschel, 2013) ;
– un mouvement de ressac ensuite avec la fin des essais en 1996 et le tarissement de la « rente nucléaire », synonyme de contraction et de restructuration du marché de l’emploi (ISPF, 2006). Nombre de migrants se sont ainsi retrouvés « piégés » à Tahiti, dans un contexte socio-économique moins favorable. L’absence d’études qualitatives sur ce segment de population constitue un angle mort majeur dans la connaissance du territoire, qui pénalise la recherche sur un éventail très large de sujets et handicape l’action publique.
Plus largement, si les effets démographiques des mutations récentes de la société polynésienne, dans le contexte de cette modernisation à marche forcée et de l’intégration croissante du territoire dans les processus contemporains de mondialisation économique et culturelle, sont relativement bien documentés, ils restent pour l’essentiel à explorer sur un plan qualitatif.
Pour ce faire, le programme de recherche s’intéresse à cinq phénomènes sociaux, qui plongent leurs racines dans les bouleversements introduits par le CEP, dont les impacts croisés s’objectivent dans la quasi-totalité des problématiques sociologiques identifiables sur le territoire :
- Le fonctionnement concret de l’action publique sur un territoire où les compétences, dans le cadre d’un statut d’autonomie étendue, sont partagées entre l’Etat et le Pays, et dans un espace socio-culturel très distinct de la France métropolitaine.
- Les transformations des structures familiales, sous l’effet de l’extension de l’économie de marché, depuis les années 1960 et de la circulation transnationale des modèles familiaux.
- L’émergence des nouvelles classes populaires et les processus d’urbanisation à Tahiti
- La restructuration des mobilités géographiques « pré-CEP », sous l’effet notamment de l’hypercentralisation des ressources territoriales dans l’agglomération de Papeete
La question des formes contemporaines de la violence, dans le cadre de ces transformations profondes et rapides de la société polynésienne
Responsable : Lucile Hervouet
Cet axe s’intéresse à la mise en œuvre de l’action publique sur le territoire, à partir des représentations et des pratiques des acteurs impliqués en tenant compte de la diversité de leurs statuts, de leurs rattachements institutionnels ou encore de leur secteur d’activité. Nous souhaitons identifier les enjeux, les ressources et les contraintes qui structurent leur action, leur coordination et qui façonnent in fine le traitement institutionnel de problèmes publics tel que celui des violences intrafamiliales ou de la crise sanitaire actuelle.
L’action publique est particulièrement impactée par trois phénomènes conjoints :
La distribution singulière, dans le cadre du statut d’autonomie, des compétences entre le niveau territorial (le « Pays ») et l’Etat, qui conduit, dans le concret de la gestion des problèmes publics, à des problématiques récurrentes de coordination et d’attribution des responsabilités.
La très forte présence de fonctionnaires métropolitains, aussi bien dans les institutions d’Etat que dans les institutions « Pays » et la spécificité sociale et culturelle des « publics » polynésiens, qui donnent lieu à toutes sortes d’ajustements.
La très faible connaissance de la société contemporaine du territoire qui amène les autorités compétentes à importer, souvent, les politiques nationales en Polynésie française sans adaptation significative au contexte social, économique, politique et culturel local.
Projet en cours :
« L’action publique à l’épreuve des violences familiales : »
Chargée de recherche : Lucile Hervouet
Financement : MSH-P
Budget total : 84k
Présentation :
En Polynésie française, les violences familiales – physiques ou sexuelles - sont présentées comme un fléau, notamment en raison de leur surreprésentation par rapport à l’hexagone. L’inscription de ce problème dans l’espace public s’est imposée plus tardivement qu’en métropole. Cette asynchronie invite à s’interroger sur les ressorts spécifiques de la prise en charge de ces violences, dans un territoire situé « aux confins de la République ».
En premier lieu, l’exercice en milieu ultramarin insulaire complexifie l’action de celles et ceux qui sont chargés mettre en œuvre la politique de lutte contre les violences familiales, au regard notamment de la difficulté à cerner les spécificités de la société polynésienne à cet égard. Elle leur offre aussi cependant de plus grandes marges de manœuvre au regard de l’application des procédures légales. Dans les cas du traitement institutionnel des formes d’adoption coutumières ou de la consommation de cannabis sur le territoire, des travaux ont ainsi décrit les bricolages éthiques et pratiques opérés par des professionnels de santé ou de la justice, vis-à-vis des normes métropolitaines.
En second lieu, la « colonialité du pouvoir » structure la construction des problèmes publics, d’autant plus lorsque ces derniers achoppent à des questions de genre et de sexualité. Comprendre la gestion institutionnelle du problème des violences familiales en Polynésie française nécessite de recenser les représentations de « l’Autre » colonisé. Cela semble d’autant plus important dans un territoire marqué par des mythes hérités des premiers contacts entre navigateurs européens et Polynésiens au XVIIIème siècle, décrivant une sexualité débridée, des hommes immatures et brutaux et des femmes dociles et lascives.
Responsable : Louise Protar
Cet axe s’intéresse à la transformation rapide des familles, liée au processus de « modernisation compressée » qui a emporté le territoire depuis les années 1960.
En premier lieu, dans la mesure où la parenté constitue toujours une structure d’échange de biens (matériels et symboliques) et de service, la parenté polynésienne a dû s’adapter à l’extension rapide de l’économie de marché, qui est venue bouleverser ces formes de réciprocité et de communalité.
En second lieu, les formes traditionnelles de parenté polynésiennes rencontrent aujourd’hui des modèles familiaux européens, portés par les institutions et les politiques publiques, à travers le droit de la famille, par exemple, et dans le cadre d’un métissage croissant de la population.
Il en résulte une grande pluralité des formes familiales, dans un contexte où la famille joue un rôle très structurant sur les trajectoires des individus. Cet axe vise à comprendre ces nouvelles configurations, à la croisée de la sociologie de la famille et de l’anthropologie de la parenté.
Projet en cours
« Faire famille » au Fenua : modernisation et transformation des pratiques et des imaginaires familiaux contemporains en Polynésie française »
Chargée de recherche : Louise Protar
Financement : MSH-P/DSFE
Budget total : 58k
Présentation :
Le projet engage un travail de fond, empirique et théorique, sur les familles contemporaines du Fenua. Il vise à explorer la pluralisation des pratiques, des aspirations et des imaginaires familiaux contemporains, à la fois entre les générations et entre les différents segments de la société de Polynésie française (urbains et ruraux ; classes populaires, moyennes, supérieures, etc.). Nous entendons ainsi saisir les décalages et les syncrétismes entre des normes familiales plurielles, et les tensions qui peuvent naître de cette « polyphonie » des normes de parenté, y compris dans le rapport entre les familles et les institutions publiques.
Pour analyser ces phénomènes, nous envisagerons la famille comme une idéologie, d’une part, et comme un ensemble de pratiques, d’autre part :
- Les nouveaux contours de l’« idéologie familiale »
D’une part la famille peut être considérée comme une idéologie. C’est sans doute ici qu’il faudrait situer les approches structuralistes, qui s’apparentent finalement davantage à des études de l’idéologie familiale, que de la famille comme réalité pratique. Sous cet aspect idéologique, la famille apparaît alors comme un ensemble de règles, de normes et de valeurs qui dessinent ses contours. Ces règles, ces normes et ces valeurs prescrivent les manières socialement légitimes de « faire famille », c’est-à-dire de distribuer les positions et de réguler les relations entre parents, au sein du groupe familial. Cette idéologie familiale présente une image idéalisée de la famille, dont les pratiques familiales réelles divergent souvent, et souvent notablement.
- Des « systèmes de parenté » à la parenté pratique
Florence Weber (Weber 2005) propose précisément de considérer la parenté moins comme le produit figé de systèmes de filiation et d’alliance, mais comme des relations fabriquées quotidiennement, à travers des pratiques concrètes. De ce point de vue, la famille est moins une entité – une structure stable -, qu’un processus continu d’association. On comprend mieux dès lors la diversité des trajectoires individuelles au sein de la parenté, sur le Fenua : si l’idéologie familiale prescrit des règles, des normes et des valeurs applicables à la vie familiale, les individues s’en saisissent de manière variée, en fonction des enjeux qui sont les leurs.
En considérant les transformations contemporaines de l’idéologie familiale, les recompositions des pratiques familiales et, enfin, la manière dont ces deux dimensions se construisent mutuellement, nous serons alors en mesure de présenter une perspective actualisée sur les familles contemporaines du Fenua, dans leur pluralité.
Responsable : Leïla DRIF
Cet axe porte sur l’émergence d’une nouvelle classe populaire urbaines, à Tahiti. Il s’appuie sur une enquête ethnographique au sein d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (situé dans la municipalité de Punaauia), dans l’agglomération de Papeete. Ce travail collectif, impliquant quatre chercheur.e.s, entend faire l’histoire de cet espace urbain (processus d’urbanisation et structuration démographique) pour appréhender les effets concrets de la montée puis du démantèlement de l’économie du nucléaire sur l’émergence d’un tissu urbain et la vie de ces populations, le plus souvent originaires des îles, qui constituent un public-cible majeur des politiques sociales. Il s’agit, ceci posé, d’éclairer dans les termes d’une sociologie processuelle les dynamiques sociales, économiques, culturelles et démographiques à l’œuvre aujourd’hui, sur ce territoire.
Projet en cours :
Chargée de recherche : Laura Giraud/Louise Protar
Financement : MSH-P/Municipalité de Punaauia
Budget total : 58k
Présentation :
Bien qu’ils apparaissent comme moteurs des évolutions récentes de la société polynésienne, les quartiers prioritaires de la politique de la ville de l’agglomération de Papeete restent à ce jour peu étudiés et relativement méconnus, sur le plan de la recherche scientifique comme du point de vue de l'action publique. Partant de ce constat, le projet de recherche développe une enquête ethnographique à Outumaoro, dans la municipalité de Punaauia à Tahiti, un espace urbain composite, agrégeant plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Il s'agit :
1. de faire l'histoire du quartier, depuis la période CEP, pour mieux saisir les processus de transformation sociale à l'œuvre sur ce territoire particulier, dans le cadre des dynamiques sociétales à l'œuvre depuis les années 1960 au Fenua.
2. de mettre en lumière les dynamiques sociales, économiques, culturelles et démographiques contemporaines à l'œuvre dans cet espace urbain - processus d'intégration et de désaffiliation sociale, (sur)vie économique, solidarités, conflictualités, rapport au travail et à l'instruction, relation aux autorités publiques, cultures juvéniles, identités collectives, etc.
Le projet de recherche vise deux objectifs :
1. En premier lieu, l'étude vise à produire et analyser des données qualitatives sur le quartier d’Outumaoro (ethnographie, entretiens biographiques, récits de ville). Ces données et ces analyses prendront la forme d'une étude monographique et seront rendues disponibles à la municipalité de Punaauia dans le cadre d'un rapport de synthèse, qui permettra un meilleur ciblage de l'action publique.
2. En second lieu, l'enquête vise à mieux comprendre l'émergence et les propriétés du nouveau prolétariat urbain, en Polynésie française et de répondre ainsi à un enjeu de recherche majeur sur le territoire.
Pour atteindre ces objectifs, nous développons quatre axes d'enquête :
- Sociologie historique d’Outumaoro
Le premier axe de recherche porte sur l’histoire sociale du quartier d’Outumaoro, depuis la mise en place de l'"économie CEP" et les migrations de travail associées au "boom" de l'économie du nucléaire en Polynésie française. Un travail d'histoire orale et d'exploitation documentaire est en cours de réalisation pour comprendre les processus d'installation et d'intégration successifs au sein du quartier, au fil des décennies, avec l'arrivée continue de populations issues des "îles". Une attention particulière est portée aux relations des "migrants" aux habitants initiaux et aux propriétaires du quartier. On interroge notamment l'évolution des structures de propriété foncière, la configuration progressive des migrations familiales depuis les îles et la structuration d'un tissu économique ancré localement, mêlant économie formelle, informelle et criminalisée.
- Relations familiales et configurations résidentielles
L'urbanisation du quartier d'Outumaoro a donné lieu à des transactions entre les propriétaires fonciers et des populations nouvellement arrivées dans l'agglomération urbaine. Ce processus a généré des configurations résidentielles plus ou moins instables, plus ou moins consolidées, souvent très différentes de la situation dans les îles d'origine. Les familles et les relations familiales ont eu à s'adapter à cette nouvelle donne, dans un contexte socio-économique souvent contraint. Dans ces circonstances, cet axe de recherche vise à mettre en lumière l'évolution rapide des structures familiales et résidentielle afin de mieux comprendre l’organisation sociale (normes, pratiques et relations familiales) et spatiale (lien avec les parents des "îles") des familles et de l'habitat, dans un contexte où certaines familles originaires des îles résident maintenant dans le quartier depuis trois générations. Il conduit aussi à analyser les flux migratoires actuels entre Outumaoro, le Tahiti rural et les "archipels" afin de mieux saisir les modes d’intégration, de désaffiliation ou d’exclusion économique et sociale des nouveaux arrivants, et d’évaluer comment ces mobilités structurent la vie sociale du quartier.
- Activités économiques et stratifications sociales
Le troisième axe d'enquête porte sur le tissu économique local, à Outumaoro. Il s'agit d'interroger la nature des activités économiques - économie productive et économie domestique, économie formelle, informelle ou criminalisée, économie de survie, etc. - et la manière dont elles se combinent - pluriactivité, travail au noir occasionnel, auto-consommation, liens entre activités formelles, informelles et criminalisées, etc. A l'échelle du quartier, nous analysons la production de réseaux économiques dans lesquelles des activités économiques formelles ou informelles et des ressources économiques monétaires et non-monétaires sont produites, organisées, mises en circulation et mobilisées, à l'intérieur d'Outumaoro et au-delà, y compris le long de réseaux familiaux ou communautaires trans-îliens, voire transnationaux ou transcontinentaux (avec les diasporas tahitiennes). A l'échelle des familles et des maisonnées, nous observons la répartition des activités économiques et les modalités d'allocation des ressources, souvent sources de conflit au sein des foyers. Ces éléments permettront d'analyser les stratifications sociales générées par cette "économie de quartier" et son "arrimage" à l'économie du Pays ainsi que les mobilités sociales ascendantes ou les processus de déclassement social auxquels elles donnent lieu, à l'échelle des individus et des familles. Ils permettront aussi de comprendre les processus de ghettoïsation et de ségrégation urbaine qui ont longtemps participé à enclaver socialement, économiquement et spatialement le quartier, que la municipalité travaille aujourd'hui activement à résorber.
- Biographies au sein du quartier
Les trois premiers axes permettront d'établir les cadres matériels de vie à Outumaoro sur le plan de leur évolution historique et de leurs configurations actuelles. Le dernier axe doit permettre de mettre en lumière des trajectoires individuelles qui se développent au sein du quartier. Outumaoro est tout à la fois un espace matériel porteur de contraintes et de ressources spécifiques (habitat et infrastructures), un territoire de l'action publique, particulièrement active sur ce territoire (politiques de (re)développement urbain, gestion des espaces et des équipements publiques, etc.), et un espace de vie pour les habitants, qui y organisent leur existence. Ces contraintes et ces ressources déterminent les cadres dans lesquels se construisent les biographies individuelles des habitants du quartier. En identifiant les contraintes particulières auxquelles font face les habitants (discriminations résidentielles, enclavement, mépris social, déscolarisation, chômage, précarité de l'habitat) mais aussi les ressources dont ils disposent (ressources institutionnelles, solidarités intrafamiliales ou communautaires), on sera en mesure à terme de construire une typologie des trajectoires individuelles. En analysant les représentations sociales associées à ces parcours (perception de l'échec, de la réussite, relation aux institutions, au travail, à l'éducation, etc.) on sera en mesure de mieux comprendre les pratiques développées par les habitants.
Responsable : Loïs Bastide
Le troisième axe prend pour objet les formes contemporaines de mobilité, sur un territoire très étendu et particulièrement éclaté (118 îles, la plupart très petites et peu peuplées, réparties sur un territoire de la taille de l’Europe) où elles jouent un rôle crucial dans l’organisation de la société, des institutions, des familles et sur le plan individuel. Cet axe a été inauguré par une enquête en cours sur les nouvelles formes d’errance, conduite auprès des populations à la rue de Papeete et dans les « îles ». Elle démontre l’imbrication forte entre les dynamiques familiales, les migrations et la question de la propriété foncière, sur le territoire. A partir de cette première approche, cet axe développe, en s’intéressant à d’autres formes de mobilité : mobilités scolaires, familiales, ou professionnelles, entre Tahiti, les archipels éloignés, et au-delà.
Projet de recherche finalisé :
2020-2021 : « Sans-abrisme », mobilités familiales et accès au foncier: les paradoxes de l’errance en Polynésie française
Institution porteuse : MSH-P
Coordination : Loïs Bastide (MCF UPF, chercheur associé MSH-P)
Chargée de recherche : Yasmina Taerea
Financement : Ministère de la famille et des Solidarités/Haut-commissariat à la République en Polynésie française/MSH-P
Budget total : 43k €
Pésentation
Le projet de recherche visait à interroger le phénomène de l’errance, en Polynésie française, sous l’angle du rapport des personnes à la rue à leur milieu familial, comme analyseur des nouvelles mobilités spatiales sur le territoire. Les données disponibles témoignent du fait que, sur le fenua, 1. les personnes à la rue sont rarement en rupture totale avec leur milieu familial, comme en témoignent la fréquence des aller-retours entre la rue et des périodes d’accueil par des parents ; 2. qu’en majorité, elles ont été l’objet, enfant, d’un transfert d’enfant, sous la forme du fa’a’amura’a, de l’adoption ou du confiage ; 3. que ces personnes disposent, le plus souvent, du fait des modalités d’attribution du foncier familiale, d’un accès possible à des terres, voire à un domicile. La recherche visait à appréhender et à mieux caractériser les spécificités du « sans-abrisme », en relation à la famille, au prisme de cette triple spécificité.
En 1995, seules 40 à 50 personnes vivaient dans les rues de Papeete, contre 345 en 2019. La population des « sans domicile fixe » a ainsi été multipliée par 7 en l’espace de 24 ans. Toutes les catégories d’âge sont concernées : matahiapo, adultes, jeunes adultes et mineurs. La grande majorité de ces publics est cependant composée de jeunes hommes originaires des îles et de la presqu’île.
En moyenne annuelle, 300-400 personnes vivent ainsi à la rue depuis une dizaine d’années. Cette relative stabilité des chiffres ne doit pas masquer le fait que cette population connaît un fort taux de renouvellement, avec de constantes entrées et sorties de la « rue », provisoires ou plus durables.
Si ce phénomène n’est pas propre au territoire, il est cependant déterminé, en Polynésie, par de très fortes spécificités. Le projet de recherche a permis d’éclairer trois faits saillants :
1. La vie à la rue implique très rarement une rupture complète avec le milieu familial. En effet, les personnes effectuent régulièrement des va-et-vient entre la rue et des moments d’insertion provisoire dans l’une ou l’autre branche de la famille élargie, qui vont de séjours ponctuels, souvent à l’occasion d’un évènement familial – anniversaire, mariage, deuil, baptême, etc., à des périodes plus longues, avant un retour à la rue.
2. Les personnes à la rue disposent souvent d’un accès au foncier, voire à un domicile, par le jeu des héritages dans le contexte d’une organisation familiale de type indifférenciée. Cette disponibilité pose la question des motifs conduisant les personnes à s’inscrire durablement dans des situations d’errance. Il est rare, ainsi, de se trouver face aux formes radicales de désaffiliation ou de disqualification sociale et d’isolement que l’on peut connaître en métropole et, plus largement, dans le cadre des sociétés européennes ou « occidentales ».
3. Au sein des populations à la rue, on constate une forte prévalence de personnes ayant vécu, enfant, des expériences d’adoption ou de « confiage ». Cette sur-représentation renforce les acquis des enquêtes conduits à la MSH-P sur les violences familiales et interpelle sur le rôle du « transfert d’enfant » (sous la forme du fa’a’amura’a, de l’adoption, ou du « confiage ») dans la déstabilisation des trajectoires individuelles.
L’enquête a permis d’éclairer trois régimes mobilitaires distincts et connectés caractéristiques des populations à la rue :
1. Un régime micro-mobilitaire, restreint spatialement et temporellement, qui se déploie au niveau de l’appropriation quotidienne de l’espace urbain par les personnes à la rue, et qui met en évidence l’existence de collectifs sociaux régis par des normes, portant par exemple sur l’occupation de l’espace ou les formes de solidarité, et une géographie urbaine des pratiques à la rue (alimentation, génération de revenu, modalités d’habiter, etc.)
2. Un régime intermédiaire tissé de mobilités moins fréquentes entre la rue et la famille élargie. On a montré ainsi que le lien familial persiste malgré l’errance. Ce lien est sollicité par les personnes à la rue, pour continuer à s’inscrire dans le collectif familial d’une part, et par les familles, qui s’appuient sur leurs parents à la rue dans certaines circonstances (garde d’un parent dépendant, par exemple).
3. Un régime macro-mobilitaire, constitué par les mobilités résidentielles à l’échelle du territoire, qui voit les personnes passer par des modes résidentiels distincts, à mesure qu’ils se déplacent en raison de nécessités particulières (école, santé, « adoption », sollicitations familiales, questions foncières, etc.), qui aboutissent parfois au développement transitoire ou durable de pratiques d’errance.
Responsable : Lauriane Dos Santos
Cet axe vise à saisir les transformations sociales en cours en Polynésie française à partir des reconfigurations de la solidarité, des inégalités et des formes de dépendance sociale. Les trois notions constituant le cœur de réflexion de l’axe sont entendues au sens large ainsi que dans leurs dimensions multiples et dans leurs manifestations ordinaires. On appréhende, en ce sens, la solidarité sur la base des conceptions morales, des logiques sociales et des pratiques quotidiennes à partir desquelles les acteurs (individus, familles ou institutions publiques) organisent les rapports d’aide, d’assistance ou de collaboration, dans la période contemporaine.
Deux objectifs scientifiques sont alors au cœur de l’axe :
- Documenter et analyser l’état actuel des rapports intergénérationnels (à travers des objets d’investigation tels que la prise en charge des aînés ou la transmission des patrimoines fonciers familiaux) ;
- Documenter et analyser les décalages, imbrications et interactions entre les normes de la solidarité familiale et celles de la solidarité publique (en s’intéressant, par exemple, à l’utilisation collective et familiale des pensions de retraite, conçues du point de vue institutionnel comme un droit individuel).
Les recherches déployées s’inscrivent essentiellement dans la perspective d’une sociologie qualitative et empirique prenant pour focale d’analyse les échelles micro et méso-sociales. L’articulation de différentes méthodes d’investigation permet la production de données inédites sur les objets étudiés, mobilisant tout à la fois : la réalisation d’entretiens (directifs, semi-directifs, libres), la réalisation d’observations directes ou participantes sur le terrain, ainsi que la collecte et l’étude de corpus documentaires (dossiers d’enquêtes sociales, dossiers judiciaires). Les récentes enquêtes statistiques de l’INED, de l’ISPF et de l’INSEE fournissent, quant à elles, un cadrage quantitatif permettant de replacer les recherches menées dans des dynamiques macrosociales plus larges (le vieillissement démographique, la transformation du modèle familial et des modes résidentiels…).
Projets en cours ou à venir (2023-2024) :
- Sortie d’indivision des terres, accès à la propriété et transformations de la famille : une ethnographie au tribunal foncier de Polynésie française
Croisant l’observation d’audiences judiciaires avec la réalisation d’entretiens (auprès des familles et des professionnels de la justice), cette recherche vise, notamment, à analyser les logiques sociales à l’œuvre dans les demandes de sortie d’indivision des terres et d’accès à la propriété foncière sur le territoire. D’une part, dans quelle mesure ces dernières s’expliquent-elles en lien avec une dynamique de décohabitation familiale et la volonté d’accéder à une propriété davantage individualisée ? D’autre part, selon quelles logiques les terres familiales sont-elles aujourd’hui redistribuées ? Enfin, comment s’affrontent, sur la scène judiciaire, les conceptions familiales et juridiques de la propriété, de la transmission successorale et de la famille ?
Co-financement : Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) ; Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique (MSH-P).
Projets réalisés (2021-2022) :
- Dépendance et violences familiales
DOS SANTOS Lauriane, (2023). Sociologie des violences domestiques . Les violences envers les personnes âgées et handicapées gardées à domicile en Polynésie française, Rapport d’enquête sociologique remis à la Direction des Solidarités, de la Famille et de l’Égalité de Polynésie française. Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique (CNRS-Université de la Polynésie française). 100p.
Co-financement : Direction des Solidarités, de la Famille et de l’Égalité (DSFE) ; Université de la Polynésie Française (UPF) ; Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique (MSH-P).
- Vieillissement et prise en charge de la vieillesse
DOS SANTOS Lauriane, « Vieillir en famille. Une sociologie des risques sociaux associés au care familial en Polynésie française », Fondation Croix-Rouge française, Les Papiers de la Fondation, n° 52, mars 2023, 15p.
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DOS SANTOS Lauriane, (2022). Vieillesse : les limites du soutien familial. Pratiques & Humanités. Fondation Croix-Rouge française. N°18 (en ligne).
https://www.fondation-croix-rouge.fr/wp-content/uploads/2023/02/fcrf_ph-18_lauriane_dos_santos-1.pdf
Financement : Fondation de la Croix-Rouge française.
Responsable : Lauriane Dos Santos
Les violences familiales constituent un problème saillant en Polynésie française. Selon les chiffres de la Gendarmerie nationale (coups et blessures volontaires sur personnes de plus de 15 ans au sein de la sphère familiale), la Polynésie est en effet le territoire français le plus affecté par les violences intrafamiliales, avec, au surplus, des chiffres en augmentation régulière. Selon ces données, les violences intrafamiliales représentaient 70 % de l’ensemble des violences aux personnes en 2015. Les faits constatés sont passés à 2 656 en 2016, soit un taux de 7,31 cas pour 1 000 habitants localement contre 4,51 au niveau national. En 2017, 1 936 cas de « violences physiques non crapuleuses » ont été recensés, pour une large part au sein des familles, en légère augmentation par rapport à 2015 et 2016. En 2019, les atteintes sexuelles ont augmenté de 50 %, en particulier au sein des familles.
Même s’il convient de souligner la fragilité de ces chiffres, liée pour partie aux modalités de leur collecte et à la fragilité des catégories et des définitions employées, la spécificité du territoire paraît donc bien attestée en matière d’atteintes aux personnes dans le cadre familial. Or, très peu de recherches ont été menées sur la question.
Considérant l’importance des violences familiales dans toute leur variété, cet axe vise à éclairer les dynamiques de violence au sein des familles et à produire des savoirs utiles à la conception et la conduite des politiques publiques en la matière.
Direction d’ouvrage
2022 (en production) Bastide, L. et Reigner D. Family violence and social change in the Pacific islands. Londres, Routledge.
Publications dans des revues à comité de lecture
2022 (à paraître) Hervouet, L. « Qui suis-je pour juger ? La construction sociale du silence autour des violences sexuelles intrafamiliales en Polynésie française ». Terrains et Travaux n°40 (juin).
Chapitre d’ouvrage
2022 (en production) Bastide, L. “Transferred children and the production of family violence in French Polynesia: social change and the adaptations of fa’a’amura’a” in Bastide, L. et Reigner D. (eds) Family violence and social change in the Pacific islands. Londres, Routledge.
Rapport de recherche publié
2020 Bastide, L. « Les violences familiales en Polynésie française : entrer, vivre et sortir de la violence », INJEPPR 2020/15 Paris, INJEP.
Organisation d’évènements scientifiques
2019 Organisation (Bastide L. et Reignier D.) du colloque international Family violence and social change in Pacific islands societies. 12-14 novembre 2019, UPF. Keynote speaker : Michel Wieviorka.
Communications scientifiques
Communications sur invitation
2021 Bastide, L. « Violences familiales en Polynésie française : définir, mesurer, contextualiser » Webconférence Violences subies dans le cadre familial : parcours juvéniles et entrée dans l’âge adulte. 6 mai, INJEP.
Colloques et journées d’étude
2022 Hervouet, L. « Les travailleurs sociaux face aux violences intrafamiliales en Polynésie française », Colloque international porté par le GIS Hybrida IS : Transformations des activités et des métiers du secteur social. Travail des frontières dans l'intervention sociale et la recherche, Rennes, 18-20 mai 2022.
2021 Hervouet, L. « ‘‘Enrôler’’ des adolescentes dans une enquête sociologique sur la famille polynésienne », Journée d'étude : Penser les familles par le prisme des enfants, Université Paris Dauphine, 14 déc. 2021.
Hervouet, L. « Les violences conjugales sont-elles le problème des femmes ? Construction et angles morts de l’action publique contre les violences intrafamiliales en Polynésie française. » Colloque Ignorance scientifique, ignorance de genre ? La construction genrée des problèmes de santé publique, Rennes, 10 déc. 2021.
Hervouet, L. « Violences intrafamiliales et changement social en Polynésie française ». 4èmes conférences de la recherche en Polynésie française, Université de la Polynésie française, 2 déc. 2021
Dos Santos, L. « Le vieillissement de la population et ses enjeux en Polynésie française : approche sociologique à partir d’une enquête en cours », Conférences de la Recherche en Polynésie française - 4ème édition. 2 décembre, UPF.
2019 Bastide, L., Reigner, D. « Jeunesse, dépendance et sortie de la violence familiale à Tahiti », colloque international Violences familiales et changement social dans les sociétés insulaires du Pacifique, 12-14 novembre, UPF, Tahiti.
2018 Bastide, L. Regnier, D., Méloche, Y. “Comprendre les violences familiales en Polynésie française : enjeux et hypothèses”, congrès du PIURN, 8-10 octobre, UPF, Tahiti.
Séminaires de recherche
2022 Dos Santos, L. « Enquêter sur les liens familiaux et la régulation des solidarités familiales. Approche qualitative au prisme de deux enquêtes de terrain (Brésil/Polynésie française) », École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS Paris), séminaire de recherche de Serge Paugam (Directeur d’études EHESS Paris, Directeur de recherche CNRS), intitulé « L’attachement social. Principes de la solidarité humaine », 14 janvier, Centre Maurice Halbwachs
2021 Dos Santos, L. « Comment les familles polynésiennes s’organisent-elles face à la perte d’autonomie d’un parent âgé ? Approche sociologique à partir des pratiques économiques familiales et du travail domestique », 12 novembre, Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique (MSH-P) | Université de la Polynésie française/CNRS
Rapports de recherche non-publiés
2022 Taerea Y., Bastide, L. « Errances et pratiques spatiales des sans domicile fixe en Polynésie française » Ministère de la Famille et des Solidarités.
Diffusion au public
2022 Bastide L., Hervouet L. « Violences intrafamiliales en Polynésie française. Résultats de l’étude quantitative », restitution des résultats auprès du ministère de la santé et de professionnels de santé, Université de la Polynésie française, 14.
